FOCUS sur l’installation de Caroline Reveillaud présentée du 30 juin au 02 juillet 2016 à l’occasion des portes ouvertes des ateliers de l’École des Beaux-Arts de Paris. EMMANUELLE ODDO.
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Etudiante aux Beaux Art de Paris, Caroline Reveillaud présente lors des portes ouvertes des Beaux-Arts ses installations photographiques, chacune basée sur un même point de départ : un corpus d’images méthodiquement rassemblées dans son ouvrage Objet, surface, ligne, pli, sculpture. Son travail lui a valu d’être nominée pour le Prix des Amis des beaux Arts.
Fascinée par le livre et l’architecture, Caroline Reveillaud réussit à travers ses œuvres à muer l’un en l’autre : l’environnement architectural photographié se retrouve collecté, disséqué, classé selon les critères qui ont donné à l’édition son titre. Le livre se fait quant à lui sculpture, érigé en fondation, en fondement de nos sociétés, de nos façons de penser, nos manières d’être.
Ce livre, qui regroupe pas moins de 300 photos de paysages urbains réalisées entre 2010 et 2015, sert de base aux différents travaux de Caroline. Tantôt pris dans son intégralité, tantôt tronqué ou démultiplié, il lui permet de recycler ses images, de les manipuler, et les rediffuser sous des formes toujours nouvelles. Ainsi, malgré son caractère reproductible, l’ouvrage affiche une certaine singularité dans chacune de ses représentations.
En témoigne son œuvre Ligne, créée en 2016, qui rassemble 30 exemplaires identiques de Objet, surface, ligne, pli, sculpture, mis bout à bout sous une vitre de 4 mètres de long. Chaque édition chevauche la suivante, et chacune est ouverte à une page différente, déployant alors toutes ensembles une ligne sombre, rigoureuse et harmonieuse de photographies. La sobriété du noir et blanc, la géométrie des lignes pourraient rattacher l’œuvre au courant minimaliste, si, à chaque extrémité, l’artiste n’avait pas pris soin de laisser courir une page libre, prolongeant le mouvement, emmenant la sculpture vers d’autres horizons que son cadre formel, délimité par cette plaque de verre.
Car ici, le livre se veut vivant, empli d’une force génératrice. Sous la vitre, les pages ondules et gonflent. Le mouvement qui s’opère est semblable à celui d’une vague, un souffle, une respiration. Il s’oppose à la linéarité apparente de l’œuvre et à son caractère figé.
Mais n’en restons pas là. Face aux œuvres de Caroline, il ne faut pas hésiter à s’approcher davantage. On remarquera alors le flou des photographies. Ce trouble visuel oblige le spectateur à deviner les formes originelles, à parcourir cette ligne qui se déroule telle une narration, dont chaque photographie deviendrait un personnage. Penché sur cette lame de verre, à la manière d’un scientifique qui décrypte son microscope, il acquière un rôle d’observateur actif, renouant avec l’attitude réceptive induite par le livre et nécessaire à sa fonction de transmission.L’exposition des Portes Ouvertes des Beaux Arts donne à voir deux autres œuvres de Caroline Réveillaud.
Pagework dissèque encore l’ouvrage Objet, surface, ligne, pli, sculpture, clé de voute de l’ensemble des œuvres, avec sa plaque de plexiglas qui floute certaines parties de l’image.
Juste à côté, Colonne intensifie le lien entre le livre et l’architecture, entre le contenu et le contenant. En témoigne le titre de la sculpture, qui renvoie au vocabulaire de l’un comme de l’autre. Des feuilles de papier libres de format A4 sont empilées les unes sur les autres, puis reliées de telles manière qu’elle se libèrent de leur caractère fébrile et souple pour acquérir une matérialité franche, solide, qui s’impose dans l’espace comme véritable élément architectural. Sur les tranches de chaque feuille sont sérigraphiées des photographies issues de Objet, surface, ligne, pli, sculpture, poursuivant le cheminement de l’ouvrage dans l’espace d’exposition, et rejouant l’idée du livre comme support de nos sociétés, symbolisées ici par les prises de vue de multiples paysages urbains ou péri-urbains.
Véritable clé de voute du travail de Caroline, Objet, surface, ligne, pli, sculpture n’est plus à considérer comme un objet que l’on manipule, que l’on tient, mais comme une force qui s’impose à nous, qui se déploie dans l’espace tout en témoignant des correspondances entre ce qu’il contient et l’espace dans lequel nos corps évoluent.
Emmanuelle Oddo
photo: Pierre Seiter