SUMMA  I O ∫ (solo)

photo: Aurélien Mole

GALERIE FLORENCE LOEWY, PARIS, FRANCE
NOV 2019-JAN 2020
PRESS RELEASE: GARANCE CHABERT
SUPPORTED BY CNAP AIDE AUX GALERIES

LE TEMPS DE LA MONTAGNE
- GARANCE CHABERT
(ENG)

« Le temps de la montagne, le temps de la marche, le temps de la caméra et le temps du spectateur s'imbriquent, se superposent et se lient ». Cette pensée, extraite de la vidéo Summa IOS, apparait comme programmatique de l'approche sur le paysage que Caroline Reveillaud adopte pour cette seconde exposition personnelle à la Galerie Florence Loewy. La jeune artiste y présente un nouvel ensemble d’œuvres où s’entrecroisent des photographies, des sculptures et une vidéo, dont la complémentarité permet de cheminer par associations visuelles et strates successives dans l'histoire du paysage et du regard. Leur trajectoire commune naquit il y a peu, dans l'Italie du XVe siècle, du recul que les peintres prirent pour représenter la nature et la constituer en objet esthétique, par " artialisation " (Alain Roger, 1997). C'est l'épaisseur de ce prisme culturel, intériorisé, persistant, et défini par un œil vers lequel tout doit converger, que Caroline Reveillaud sonde dans cette exposition. 
Son travail fondateur, une ligne de livres ouverts, déployait au sol des images d'architectures et d'œuvres d’art classés sous les items d' « Objet, Surface, Pli, Ligne, Sculpture I ». L'artiste poursuit ici cet inventaire personnel d’images et de figures recueillies au fil de lectures et de voyages, et arpente le paysage en y cherchant cadres et lignes, supports clés de la perspective illusionniste. 
Dans l'exposition, la ligne est partout et prend différentes formes : faille immémoriale de l'érosion dans des roches de marbre (Vedute) et de granit (Map), elle serpente allègrement dans des figures abstraites sculptées au mur (Curves), et apparait, furtive, dans les plans filmés de crêtes montagneuse et d'ondulations de l'eau (Summa IOS). Le titre de l’exposition la place au premier plan, par une formule visuelle élémentaire élaborée à la Renaissance : les trois lignes droite, circulaire et serpentine (IOS) permettraient de représenter le réel dans tous ses mouvements (summa, le tout).
C’est le cas des Curves, par exemple, qui reprennent des schémas abstraits de phénomènes physiques et de changements d'état (mouvements des nuages, sublimation de corps gazeux en solides, etc.). Extraites de traités scientifiques, elles s’échappent du livre pour devenir de petits reliefs ornementaux, forment une mystérieuse écriture murale.  Dans l’exposition, on circule facilement de la seconde à la troisième dimension, l'artiste jouant sur la matérialité de ses images pour démultiplier notre regard dans d’autres directions. 

Ainsi de Map, qui présente l'image de grands blocs de granit altéré. Le support d'impression grand format plié évoque instantanément la carte routière, et nous conduit vers une toute autre perception mentale du réseau de lignes : l'échelle schématisée et macro du paysage que l’on traverse, véhiculé à vive allure. Dans cette collision, il y a l’image vue, mais aussi la profondeur du regard et les projections du ressouvenir. 
L'exposition baigne dans une atmosphère italienne, qui résonne dans les titres, dans les images et à nos oreilles. Est-ce parce que l'histoire de l'art s’invente comme discipline en Italie et qu'elle occupe une large part dans la construction du regard de l'auteur ? Vedute nous emmène à Carrare (Toscane), à travers une série de photographies réalisées dans les légendaires carrières, qui fournissent depuis l'Antiquité les blocs de marbre des fastueuses demeures et de précieuses œuvres d’art. Aujourd'hui, les carrières sont un lieu d’intérêt et d’inspiration pour nombre d'artistes contemporains qui en célèbrent le matériau et surtout sa photogénie (Aglaia Konrad, Danh Vo, Batia Suter, Daniel G. Cramer etc.). Dans ce paysage fortement ' artialisé ', Caroline Reveillaud réhausse ses images d’un filtre de verre fumé, lui-même partiellement incisé au jet d’eau de lignes intuitives prolongeant celles visibles sur le site. La coloration et l'épaisseur du verre sont manifestes, via cet écran qui oblige le regard à un ajustement des deux plans et trouble la perception habituelle de l'image : les découpes redonnent une densité physique aux failles originelles du bloc de pierre devenues traits, lignes dans l’image bi-dimensionnelle. 
Summa IOS est un film dans lequel se succèdent des séquences de paysages arpentés en Italie  et ailleurs (montagnes, collines, falaises, côtes qui alternent et rendent sensible les mouvements de caméra – mise au point, zoom, travelling, etc.). Une voix de femme énonce en off des pensées sur la construction historique du paysage comme objet d'émotion esthétique et de représentation philosophique du monde. Ecrites par l'artiste qui se met néanmoins à distance en les faisant lire en italien, langue du Zibaldone, journal intellectuel de Leopardi dont la forme l'a inspirée, ses réflexions s'expriment avec une fluidité et dans un équilibre particulièrement maitrisé entre écriture et image. C’est tout l'enjeu et la réussite de ce film de permettre des points de convergence forts entre l’image et le texte, tout en les maintenant irréductibles à leur propre langage. L'œil et l'esprit peuvent déambuler dans ce film ensemble ou séparément, s'éclairer réciproquement à certains moments et se perdre à d'autres, de sorte que nos propres images et pensées prennent le relais. " Le paysage est en dedans ", dit-elle, riche d’images intérieures dans un savoir ignorant de lui-même qui surgit dans la reconnaissance d'un paysage admiré. Les œuvres de Caroline Reveillaud nous ouvrent à cet abyme. 

Garance Chabert

photo: Aurélien Mole